Le torchon brûle entre beIN Sports et LFP Media. Pour la deuxième fois consécutive cette saison, la chaîne franco-qatarienne n’a versé qu’une partie de sa traite à la Ligue de football professionnel (LFP), maintenant la pression dans un conflit qui mêle argent, droits télévisés et liberté de programmation.
Un paiement partiel qui s’installe dans la durée
Le 5 octobre dernier, beIN Sports n’a réglé que 14 des 18 millions d’euros dus à la LFP au titre de sa deuxième échéance de la saison, correspondant à la diffusion de son affiche du samedi après-midi. Cette retenue de 4 millions d’euros n’a rien d’un oubli : elle prolonge une pratique déjà observée lors de la première traite, en août. Le montant global du contrat annuel, estimé à 78,5 millions d’euros, est ainsi partiellement honoré, en signe de protestation.
En cause, les conditions de diffusion imposées par LFP Media, la filiale commerciale de la Ligue. beIN Sports dénonce depuis plusieurs mois des restrictions qui, selon elle, pénalisent son attractivité auprès du public. En pratique, le diffuseur n’a pas une liberté totale sur la programmation des matchs auxquels il a droit : il ne peut diffuser plus de huit fois la même équipe dans la saison, ni proposer deux fois de suite le même club à l’antenne.
Ces règles, censées garantir un équilibre entre les diffuseurs, limitent en réalité la marge de manœuvre de beIN Sports. Elles aboutissent de facto à réserver les affiches les plus prestigieuses — celles du PSG ou de l’OM — à la plateforme Ligue 1+, lancée à la mi-août et désormais détentrice du lot principal.
Une contestation portée devant la justice
L’affaire n’en est plus au stade du désaccord commercial. beIN Sports a assigné LFP Media devant le tribunal des activités économiques de Paris, à la fois en référé et sur le fond. Le diffuseur réclame 29 millions d’euros d’indemnités pour compenser ce qu’il estime être un préjudice subi depuis le début de la saison dernière.
Selon ses représentants, la chaîne aurait été contrainte d’accepter ces limitations de diffusion afin de rendre son offre compatible avec celle de DAZN, alors co-diffuseur de la Ligue 1. Un compromis jugé acceptable à l’époque, mais devenu obsolète depuis le retrait de DAZN et l’arrivée de Ligue 1+ comme principal partenaire de la LFP.
Pour justifier ses paiements partiels, beIN Sports invoque ainsi une « contestation légitime » des conditions actuelles du contrat. En clair, tant que la situation ne sera pas réévaluée, la chaîne n’entend pas verser l’intégralité des sommes dues.
La LFP contre-attaque et saisit à son tour la justice
Face à cette stratégie d’étranglement financier, LFP Media a décidé de répliquer sur le même terrain. Elle a elle aussi assigné beIN Sports devant le tribunal des activités économiques de Paris, afin d’obtenir le paiement complet des sommes prévues au contrat. Une première audience est attendue à la fin du mois, en urgence, pour examiner les demandes de chaque partie.
Les discussions engagées pour éviter l’escalade ont échoué. Une rencontre avait pourtant eu lieu le 26 août entre Nicolas de Tavernost, directeur général de LFP Media, Jean-Christophe Germani, représentant du fonds CVC (partenaire financier de la Ligue), et Yousef Al-Obaidly, patron de beIN Sports. Les négociations qui ont suivi, menées avec les avocats des deux camps, n’ont débouché sur aucun accord concret.
Le dialogue étant désormais rompu, c’est au tribunal qu’il reviendra de trancher cette bataille aux multiples enjeux : financiers, bien sûr, mais aussi symboliques. Car au-delà de la question des paiements, ce bras de fer révèle une tension plus profonde entre la LFP et ses diffuseurs, dans un contexte où le modèle économique des droits TV du football français reste fragile.
Un différend aux répercussions durables
Pour la Ligue, l’enjeu est vital : ces versements constituent une ressource essentielle pour les clubs, déjà éprouvés par plusieurs années d’instabilité audiovisuelle. Après l’effondrement du contrat Mediapro en 2020 et les incertitudes autour des appels d’offres, chaque manquement de paiement ravive le spectre d’une crise de financement.
Du côté de beIN Sports, l’objectif est de peser dans la renégociation des conditions de diffusion et de rappeler que la valeur d’un lot dépend aussi de sa visibilité. En contestant les contraintes qui l’empêchent de programmer les grandes affiches, la chaîne cherche à défendre la viabilité de son offre face à une concurrence accrue.
Cette bataille judiciaire pourrait bien redessiner les rapports de force entre les diffuseurs et la Ligue. Si le tribunal venait à donner raison à beIN Sports, d’autres acteurs pourraient être tentés d’exiger davantage de flexibilité. À l’inverse, une victoire de la LFP renforcerait son autorité contractuelle, mais au risque de refroidir les diffuseurs à l’avenir.
En attendant le verdict, une certitude : le feuilleton des droits TV du football français est loin d’être terminé.