Enfoui à 80 mètres sous une montagne près de Qom, Fordo symbolise le défi stratégique du programme nucléaire iranien et constitue une cible redoutable pour l’armée israélienne.
Une installation conçue pour l’invulnérabilité

Le site nucléaire de Fordo est situé à environ 30 km de la ville sainte de Qom, en Iran. Il est littéralement creusé dans le flanc d’une montagne, à une profondeur estimée entre 80 et 90 mètres sous la roche, ce qui en fait l’un des complexes nucléaires les plus inaccessibles au monde. Sa construction, commencée dans les années 2000, s’est faite dans un secret quasi total, d’abord comme base militaire des Gardiens de la Révolution, avant d’être officiellement convertie en installation d’enrichissement d’uranium. L’objectif était clair : prémunir le site contre toute frappe aérienne ennemie, en particulier israélienne, et garantir la poursuite des activités même en cas de conflit majeur.

Au-delà de sa topographie, Fordo est protégé par un système de défense anti-aérienne sophistiqué. Des batteries de missiles S-300 d’origine russe y sont installées depuis plusieurs années, renforçant le dispositif de défense rapprochée. Ces systèmes, capables d’intercepter des avions ou missiles à longue portée, compliquent encore davantage toute opération militaire. En outre, l’accès au site est limité à un tunnel étroit, facilement défendable, et surveillé en permanence par les services de renseignement iranien. Cette configuration, conjuguée à la profondeur du site, a contribué à le rendre quasi intouchable par des moyens conventionnels.

Depuis la rupture du JCPOA (accord sur le nucléaire iranien) en 2018, et l’accélération du programme iranien, Fordo s’est imposé comme l’épine dorsale de l’effort d’enrichissement. Selon les dernières inspections de l’AIEA, le site abrite plusieurs milliers de centrifugeuses avancées, notamment de type IR-6, capables d’enrichir l’uranium à plus de 83 %, frôlant ainsi le seuil militaire de 90 %. Les experts estiment que, si Téhéran le décidait, Fordo pourrait produire suffisamment de matière fissile pour une ogive nucléaire en moins d’un mois. Ce potentiel, combiné à l’inaccessibilité du site, renforce son importance stratégique.

Un casse-tête militaire pour l’État hébreu

Pour l’armée israélienne, le site de Fordo est considéré comme l’une des menaces les plus sérieuses à l’existence de l’État. Toutefois, sa destruction relève d’un défi technologique. L’épaisseur de roche qui recouvre l’installation interdit pratiquement toute frappe efficace par des armes classiques. Les seules bombes susceptibles d’atteindre Fordo sont les bombes dites « bunker buster », comme la GBU-57 Massive Ordnance Penetrator, développée par les États-Unis. Mais cette munition nécessite un vecteur de type B-2 Spirit, que l’Israël ne possède pas. Sans aide directe des Américains, une attaque aérienne israélienne sur Fordo reste hautement improbable.

Au-delà de la difficulté opérationnelle, une attaque sur Fordo comporterait des risques immenses. Les matériaux hautement enrichis présents sur le site pourraient, en cas de bombardement, entraîner une contamination radioactive de grande ampleur. L’AIEA a plusieurs fois alerté sur les conséquences humanitaires et environnementales d’une telle frappe. Une opération de cette ampleur déclencherait à coup sûr une riposte iranienne massive, faisant basculer toute la région dans une confrontation ouverte. Pour Israël, l’enjeu n’est pas seulement technique, mais géopolitique.

Face à ce mur militaire et diplomatique, Israël a multiplié les opérations clandestines et cybernétiques. Le virus Stuxnet, détecté en 2010, avait déjà causé des dégâts considérables aux centrifugeuses de Natanz. Depuis, plusieurs attaques ciblées ont visé des scientifiques nucléaires iraniens et des installations périphériques du programme. Si Fordo reste une cible difficilement accessible, la stratégie israélienne semble être d’affaiblir sa chaîne logistique, ses personnels, et sa capacité à fonctionner de façon continue. C’est un conflit d’usure où la dissuasion remplace l’attaque frontale.

Fordo, symbole politique autant que site nucléaire

Avec Natanz et Arak, Fordo forme le triangle principal du programme nucléaire civil et militaire de l’Iran. Alors que Natanz a été partiellement compromis par des attaques, Fordo est devenu le site le plus sûr et le plus avancé. L’uranium enrichi à Fordo est stocké sur place ou transféré dans d’autres installations, sous surveillance intermittente de l’AIEA. Le site joue un rôle pivot dans la stratégie d’autonomie technologique de la République islamique, qui prétend n’avoir aucun projet militaire mais refuse toute limitation unilatérale de ses activités.

Pour les autorités iraniennes, Fordo incarne la souveraineté scientifique et la détermination face à l’Occident. L’existence même du site, souvent montré à la télévision d’État lors de visites de responsables, est un instrument de communication interne. Il s’agit de prouver à la population que l’Iran est capable de résister aux sanctions, de développer une technologie de pointe, et de dissuader toute agression. Fordo est autant une réalité industrielle qu’un symbole politique, soigneusement entretenu.

Depuis la sortie américaine du JCPOA et l’échec des discussions indirectes via Oman, Fordo est redevenu l’un des points de friction dans les relations Iran-Occident. Toute négociation sur un nouvel accord nucléaire devra prévoir des clauses spécifiques sur les limites d’enrichissement à Fordo, les modalités d’inspection, voire son déclassement. L’Iran, de son côté, conditionne tout recul à des garanties sérieuses, ce qui, pour l’instant, paraît peu probable. Le sort de Fordo est ainsi lié à l’avenir même de la diplomatie régionale.



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