Ron DeSantis fait construire une prison pour migrants en pleine zone sauvage protégée. Entre théâtre politique et choc écologique, la polémique enfle.
Une prison isolée dans un sanctuaire écologique
La Floride a entamé la construction d’un centre de rétention pour migrants dans une zone reculée des Everglades. Le site choisi, un ancien aérodrome cerné de marécages, accueillera à terme jusqu’à 1 000 personnes. L’initiative a été défendue par le procureur général James Uthmeier, qui vante un dispositif « peu coûteux » et dissuasif : « Si les gens sortent, il n’y a pas grand-chose qui les attend, à part les alligators et les pythons. » Le surnom donné au lieu, l’« Alcatraz des alligators », illustre la logique carcérale et symbolique du projet.
Ni les autorités du parc national des Everglades ni les résidents alentour n’ont été consultés avant le lancement du chantier. Ce passage en force soulève des inquiétudes sur les risques humains et environnementaux. À l’isolement géographique s’ajoute une absence de transparence institutionnelle, les conditions de détention comme les critères d’incarcération n’ayant pas été clairement détaillés.
Classés site Ramsar et réserve de biosphère par l’UNESCO, les Everglades abritent plus de 2 000 espèces animales et végétales. Le projet suscite l’ire des défenseurs de l’environnement. L’association Friends of the Everglades alerte sur « un risque inutile et inacceptable » pour ce milieu déjà menacé par l’urbanisation et le changement climatique. La construction d’un centre pénitentiaire dans un tel environnement apparaît comme une provocation aux yeux des biologistes et écologistes.
Une manœuvre politique signée Ron DeSantis
Le gouverneur républicain de Floride, Ron DeSantis, revendique une étroite collaboration avec l’administration Trump dans la mise en œuvre d’un plan d’expulsions massives de migrants. Dans la rhétorique du président, l’immigration clandestine est décrite comme une « invasion » criminelle. Le centre des Everglades devient ainsi un totem politique : visible, extrême, dissuasif, pensé autant pour les médias que pour les électeurs.
Choisir les Everglades, ce paysage mythique de la Floride, pour y implanter un centre de rétention, relève d’un geste hautement symbolique. L’isolement, l’hostilité naturelle du terrain, l’animalité même du lieu (alligators, serpents), sont autant d’éléments mis en scène pour illustrer la rigueur républicaine face aux « clandestins ». Ce théâtre géographique nourrit la communication politique, au détriment de l’humanité des individus concernés.
Même certains anciens membres de l’administration Biden s’indignent : Alex Howard dénonce un « mélange grotesque de cruauté et de théâtre politique ». Le projet, par son emplacement, son coût (près de 450 millions de dollars par an), et ses implications éthiques, divise profondément l’opinion publique. Pour ses détracteurs, il s’agit moins de gérer l’immigration que de faire campagne par la peur.
Enjeux juridiques, éthiques et écologiques en tension
Selon la porte-parole du ministère de la Sécurité intérieure, le fonctionnement du centre pourrait atteindre 450 millions de dollars annuels. L’État de Floride espère obtenir des financements fédéraux, sans certitude à ce jour. Ce budget suscite des interrogations sur les priorités budgétaires d’un État déjà confronté à des défis sociaux, sanitaires et climatiques majeurs.
Si le projet floridien est mené à bien, il pourrait inspirer d’autres États conservateurs dans la mise en œuvre de centres de rétention à haute visibilité politique. La détention extrajudiciaire en milieu hostile deviendrait alors une norme implicite, inquiétante pour les défenseurs des droits humains. Ce type de dispositif pourrait échapper au contrôle judiciaire, en se situant aux marges du droit et de la géographie.
Plusieurs ONG et collectifs écologistes annoncent déjà leur intention de saisir la justice. La localisation du centre dans une zone protégée pourrait constituer une infraction au droit fédéral sur la protection des écosystèmes. Une bataille juridique se profile, dans laquelle les avocats de l’environnement rejoindront peut-être ceux des libertés publiques. La prison des Everglades pourrait alors devenir un symbole juridique autant qu’un scandale moral.